Je m'inspire

Articles, interviews et portraits d'acteurs publics inspirants

Les usagers au coeur des services numériques du Ti Kub

#2 Comment créer son incubateur de services publics numériques ?

 .

Inauguré au printemps 2019, le Ti Kub est le nouvel incubateur de services numériques de la Région Bretagne. Adossé au Ti Lab, laboratoire régional d’innovation publique, l’incubateur vise à améliorer le service public rendu aux usagers par le numérique. Pour sa création et son déploiement, la Région Bretagne a collaboré avec Hubvisory, agence de conseil spécialisée dans le Product Management et l’agilité.

Profil Public a rencontré Céline Faivre, Directrice générale adjointe (numérique, achat et juridique) au Conseil régional de  Bretagne et instigatrice du Ti Kub et Martin Canton-Lauga, cofondateur d’Hubvisory.

Nous revenons sur ce sujet avec un dossier spécial « Ti Kub » en 2 articles. Dans un premier article, nous avons vu “Pourquoi créer un incubateur de services publics numériques ?” #1. 

Dans celui-ci, Céline Faivre et Martin Canton-Lauga reviennent sur  “Comment créer son incubateur” ? #2. Retour d’expérience après la création du Ti Kub.

  .

Pour assurer sa réussite, un incubateur de services numériques doit s’intégrer dans une véritable stratégie et une dynamique de transformation d’ensemble.

  .

➡️ Quel a été le processus de création du Ti Kub ?

Céline Faivre : La création du Ti Kub a été envisagée dès 2017 mais n’a pas été simple. Le Directeur général des services (DGS), Jérôme Bastin à cette époque, a été un soutien majeur à cette initiative qui n’était pas perçue positivement par l’ensemble des services. Ce projet pouvait être vécu comme une remise en question des façons de porter le développement du numérique. Pour imaginer ce lieu d’innovation, nous avons regardé de près ce qu’a fait la DINSIC. Ayant évolué pendant deux ans au sein de la DINSIC, j’étais convaincue de leurs méthodes. Je considère qu’il faut copier ceux qui réussissent ! Nous avons également observé un grand nombre de modèles similaires que nous avons adapté à notre collectivité et aux sensibilités qui sont les nôtres.

  .

Ayant évolué pendant deux ans au sein de la DINSIC, j’étais convaincue de leurs méthodes. Je considère qu’il faut copier ceux qui réussissent !

 

  .

L’un des enjeux, non résolus par Beta.gouv.fr est à mon sens celui du passage à l’échelle. Nous nous sommes donc intéressés à ce qu’a fait Pôle emploi avec l’Emploi Store, une plateforme thématique regroupant des services dédiés à l’emploi et la formation : certains services émanant de startups mais d’autres ayant été conçus par des agents de l’institution en intrapreneuriat. Leur modèle s’attelle aujourd’hui à l’industrialisation et au passage à l’échelle en lien avec leur DSI. Pour le Ti Kub, la DSI est partie prenante de la démarche et les équipes de développeurs s’impliquent de manière importante dans l’incubateur : leur participation est essentielle et gage de réussite pour la démarche.

  .

Martin Canton-Lauga : Il s’agit d’une démarche en quatre temps.

Il s’agit d’une démarche en quatre temps.

   .

1/ Il faut définir l’ambition et l’intention. La région présente une ambition politique avec une intention de faisabilité. Il faut alors se demander quelles équipes mettre en place, avec quels moyens budgétaires, humains, organisationnels. Il s’agit également d’effectuer un travail d’ordre stratégique et de conviction en présentant cette nouvelle infrastructure aux décideurs.

2/ Il s’agit de monter la gouvernance, c’est-à-dire savoir qui décide, à quel niveau et qui est embarqué dans la collégialité de la prise de décision à la fois sur le plan opérationnel (quels produits créés ?) et le sur plan organisationnel (quel budget alloué).

3/ Il faut une démarche d’accompagnement et d’accélération du processus. Pour cela, nous nous demandons quel sera le processus de prise en main des produits digitaux et établissons ainsi les conditions de son incubation par la région, les conditions de son suivi ainsi que celles de la sortie de l’incubateur régional. C’est le temps également de la définition de la méthodologie de travail. Par le Product Management et l’agilité, notre cœur de métier, nous formons les équipes et décrivons un plan de déploiement des produits (stratégie, design, réalisation technique, puis déploiement).

4/ C’est le temps de l’amorçage de la transformation de l’incubateur. Il s’agit de monter l’espace qui va l’accueillir, de former des collaborateurs qui seront amenés à intervenir au sein de celui-ci, et d’accompagner le changement.

   .

🙁 Quelles ont été les difficultés rencontrées ?

Céline Faivre : Effectivement, la logistique d’un tel lieu n’est pas la même que celle des bureaux classiques des administrations, il nous fallait inévitablement le soutien de la Direction générale et être en capacité de mobiliser un certain budget. Finalement nous avons fait le choix de positionner le Ti Kub au siège du Conseil régional dans un bâtiment modulaire à côté du bâtiment principal, nous laissant ainsi une grande liberté dans l’agencement. Ce lieu, au cœur et en dehors de l’administration, a été inauguré en avril 2019.

Martin Canton-Lauga : Le premier obstacle est sans aucun doute l’équilibre entre l’ambition de la Région et le temps dont nous disposions. La deuxième contrainte est de l’ordre des ressources humaines. Le recrutement est difficile et demande beaucoup de temps pour trouver les bonnes personnes c’est-à-dire celles qui seront en adéquation avec le projet de l’incubateur.

   .

Le recrutement est difficile et demande beaucoup de temps pour les bonnes personnes c’est-à-dire celles qui seront en adéquation avec le projet de l’incubateur.

   .

Céline Faivre : Dans le même temps, il nous fallait également mobiliser des agents dans la perspective de l’appel à intrapreneurs et réussir à démontrer la valeur ajoutée de ces nouveaux modes de faire.

Martin Canton-Lauga : A l’heure actuelle, la difficulté majeure est la formation au Product Management. Tous les agents ne comprennent pas la valeur ajoutée de ces méthodes agiles qui nécessitent de modifier ses pratiques de travail. Pour transformer l’organisation, il faut arriver à les convaincre et introduire dans les pratiques de travail les notions d’autonomie et de responsabilisation.

   .

📢 Et la communication, un enjeu clef ?

Martin Canton-Lauga : La Région Bretagne a compris l’enjeu de communication et d’évangélisation pour faire vivre la démarche, convaincre les acteurs et promouvoir l’incubateur. Ils ont effectué un gros travail lors de son inauguration notamment. Un manifeste, inspiré de celui de Beta.gouv.fr, exprime la volonté d’offrir une culture de travail différente dans l’incubateur et d’attirer de nouveaux profils qui vont apporter beaucoup à la logique de transformation, et faire vivre la question du déploiement de produits digitaux au sein de la Région Bretagne.

  .

🔎 Quelles sont les actions phares du Ti Kub ?

Céline Faivre : Sur le modèle du projet « startup de territoires » de Beta.gouv, nous avons lancé un appel à intrapreneurs pour amener les agents de la Région Bretagne à identifier les besoins, les irritants, et les problèmes non résolus, en considérant qu’une solution numérique pourrait les résoudre. La DINSIC et son incubateur de services numériques nous apportent un appui opérationnel en période de pré-incubation pour vérifier la réalité et l’ampleur du problème tel qu’il est identifié, s’assurer de sa possible résolution avec une solution numérique et développer ces solutions. Ce premier programme d’intrapreneuriat de l’incubateur nous permettra d’ici la fin de l’année de sortir les premiers produits et services numériques.

  .

👉 Quelles sont ses valeurs partagées ?

Céline Faivre : Nous mettons un point d’honneur à offrir aux agents une liberté d’action dans l’identification d’un problème qui peut être décorrélé de ses missions au sein de la collectivité. Les intrapreneurs peuvent se positionner sur un projet qui n’a rien à voir avec ses compétences ou ses sujets de travail. C’est d’ailleurs un excellent moyen de décloisonner l’organisation. L’expression est libre dans ces lieux d’innovation. Nous accordons également une grande importance aux besoins de l’usager et à la simplification des services proposés. C’est exigeant comme approche. Il s’agit d’innover sous contrainte.

  

🔮 Le plus grand défi à relever pour le Ti Kub ? 

Martin Canton-Lauga : Accélérer sa structuration ! Nous avons accompagné son organisation, la méthode et la démarche d’accompagnement des futurs produits digitaux. Demain il faut faire naître des projets, faire venir les équipes et les faire collaborer. L’enjeu est dans la mise en mouvement de l’incubateur.

L’enjeu est dans la mise en mouvement de l’incubateur.

L’enjeu est dans la mise en mouvement de l’incubateur.  .

😉 Quels conseils pour des collectivités qui souhaiteraient lancer leur incubateur ? 

Céline Faivre : Le projet doit s’intégrer dans une véritable stratégie et une dynamique de transformation d’ensemble : le Ti Kub est porté par la délégation aux stratégies numériques, en lien avec la délégation à la transformation portant les enjeux du management, des ressources et de la simplification des processus et procédures. Cette stratégie est essentielle sans quoi le projet ne peut pas être intégré de manière durable au sein de la collectivité.

  .

L’incubateur de services numériques doit s’intégrer dans une véritable stratégie et une dynamique de transformation d’ensemble.

 

  .

Il est important également d’avoir le soutien politique et de la direction générale, dont je fais désormais partie, pour convaincre le top management et l’ensemble des agents. Une attention particulière doit être portée à la compréhension du projet par les agents et l’ouverture d’esprit dont ils font preuve, ce qui peut constituer un frein au déploiement du projet. L’utilisation d’un jargon professionnel particulier, d’autant plus s’il est anglophone, peut représenter un blocage au traitement du fond du projet.

  .

 

Mon rôle est de cultiver cette différence et d’amener les équipes à faire ce pas de côté.

  .

 

Pour autant, nous faisons des choses différentes et nous devons assumer cette différence. Faire bouger les lignes implique d’accepter que tout le monde ne soit pas en phase dès le départ. On a le pouvoir de faire profondément changer les choses, et j’en suis convaincue. Mon rôle est de cultiver cette différence et d’amener les équipes à faire ce pas de côté.